François GIR
(Réalisateur)
le 28 août 2002
DIKRAN
L’enchantement de la sculpture de Dikran jaillit,
tout d’abord, de cette flamme créatrice
qui subtilise la pesanteur des matériaux lourds
qu’il façonne. Le poids de la glaise, de
la pierre ou du bronze s’évapore dès
qu’il fait apparaître la grâce des
formes humaines stylisées qu’il semble
avoir fait naître d’un souffle, d’une
caresse.
Cet univers subtil, aérien et mobile peuple
son impalpable rêve.
Ce rêve qu’il laissait percevoir par l’esquisse
d’un sourire timide et bienveillant. Ce rêve
teinté de la nostalgie de son antique culture
qui nourrissait sa rayonnante sagesse.
Son œuvre de sculpteur exprime la rareté
de son âme distinguée, humble et sensible.
Appartenant à un autre univers que le nôtre,
il n’a pas toujours rencontré dans notre
société trépidante et avide, la
reconnaissance qu’il méritait, tant pour
son œuvre sculpturale, que pour son génie
inventif de bâtisseur, que pour sa vie exemplaire.
Dikran KHOUBESSERIAN est né le 25 avril 1913
à Mersine, en Turquie. Trois ans plus tard sa
famille s’est installée en Palestine pour
fuir le génocide arménien.
A neuf ans, l’enfant Dikran a été
séparé de ses parents qui voulaient le
mettre à l’abri de l’instabilité
politique en Orient et surtout pour lui assurer de bonnes
études de culture française. Il traversera,
seul, la Méditerranée pour débarquer
à Marseille, d’où il prendra le
train pour Paris, toujours seul, à neuf ans et
ne parlant pas français.
A son arrivée à Paris, il sera accueilli
par son cousin Hagop KHOUBESSERIAN qui le prendra sous
sa protection. Inscrit par ses parents au collège
Sainte-Barbe à Paris, il s’intégrera
rapidement à sa nouvelle vie et deviendra très
vite un excellent élève.
Curieux de tout et avide de connaissance, il se sentira
déjà particulièrement attiré
par les œuvres d’art, il consacrera tous
ses loisirs à visiter les musées de la
capitale. Ses prodigieuses capacités et son appétit
de connaissances l’entraîneront à
maîtriser plusieurs disciplines. Il entreprendra
des études différentes avec la même
ardeur.
C’est ainsi qu’il obtient son diplôme
d’ingénieur des travaux publics à
vingt ans. Bientôt il s’inscrira à
l’ordre des architectes. Sa carrière s’annonce
exceptionnellement brillante, mais le décès
de son père l’obligera à rejoindre
sa famille installée au Liban. Ses nouveaux devoirs
de chef de famille lui imposeront la protection de ses
frères et sœur.
A Beyrouth, le très jeune architecte-ingénieur
se distingue rapidement. Il offre gracieusement ses
compétences techniques et son talent créateur
à la conception, l’étude et la construction
de l’église Saint-Nichan située
au coeur de la ville.
Il se lancera audacieusement dans l’édification
de ce monument d’un style et d’une technique
parfaitement originaux pour l’époque. En
1938, Dikran KHOUBESSERIAN sera l’un des premiers
architectes à utiliser le béton armé
pour la construction d’un édifice d’Art
d’un style nouveau dans une technique nouvelle.
Ce jeune ingénieur de vingt-cinq ans se verra
obligé de conduire d’un bout à l’autre
son chantier pour former « sur le tas »
et discipliner ses ouvriers à ces nouvelles techniques
encore mal connues. Cet édifice audacieux érigé
au centre de Beyrouth s’impose à la place
d’honneur et la spiritualité qui s’en
dégage imprègne les fidèles
d’une atmosphère favorable à leur
recueillement.
La noble mission de l’architecture est bien de
donner une âme à l’édifice
qu’elle érige dans le respect de sa fonction,
dans l’harmonie du cadre où elle est située.
Toujours passionné de sculptures et désireux
de s’y consacrer, il fréquente les frères
BASBOUS, célèbres sculpteurs au Liban.
Bien jeune encore, il pressent le bien-être qu’il
éprouvera à créer seul avec lui-même,
ses œuvres dans la paix d’un atelier loin
de l’agitation et des compromissions.
De retour en France, il se consacrera à la sculpture
avec la passion et l’audace qui le caractérise.
Ses premières œuvres apparaissent très
modernes pour l’époque. Il s’attache
à créer des formes esquissées qui
ne sont que mouvements et sensations humaines, harmonieuses,
éthérées.
Sa formation d’architecte le préserve
de toute dérive et ses œuvres sont toujours
bien équilibrées, même lorsqu’elles
s’envolent au gré de son imagination qui
le conduit parfois à créer des pièces
immenses ou des minuscules figurines à vocation
décorative.
Ses sculptures d’un genre très particulier
se distinguent aussi par leur surface douce et caressante,
les formes et les visages suggérés ne
laissent paraître aucune aspérité,
elles sont lisses, blanches comme le plâtre, lumineuses
comme l’or, graves comme l’argent, fluides
comme le verre.
Dikran, cependant n’abandonne pas ses premières
professions : en 1954 il invente un dispositif
de construction révolutionnaire qui consiste
à élever un bâtiment en superposant
chaque étage préfabriqué l’un
sur l’autre à l’aide de vérins.
En 1963 il réalise la maquette d’un opéra
pour Madrid imaginé rigoureusement en fonction
de son utilisation. Par cette démarche parfaitement
originale il impose un style de construction révolutionnaire
par sa « simplicité »,
car l’aspect et la noblesse de l’édifice
se trouvaient en harmonie totale avec sa vocation et
son cadre.
Là encore, le génie créateur de
Dikran se plaçait humblement au service de la
société en restant fidèle à
lui-même. Dikran est mort le 21 avril 1991 à
Grisy-les-Plâtres.
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