André FLAMENT
Président des « Peintres témoins
de leur temps»
1975
La première fois où j’ai vu DIKRAN,
c’était au Musée Galliera.
Aidé par sa femme, il était aux prises
avec une immense clé de mécanicien absolument
inapte à tout usage étant donné,
d’une part, qu’elle était faite d’un
matériau non métallique, léger
et tendre, et , d’autre part, que ses dimensions
supposaient des écrous d’un diamètre
tel qu’il ne pouvait en exister qu’au pays
des Géants.
Encore eût-il fallu admettre que les Géants
utilisaient des écrous et des boulons, ce que
la Mythologie n’enseigne pas.
Bref, cet objet, destiné à l’exposition
« LA VIE DES CHOSES », était
à la fois si monstrueux et si insolite que le
légendaire du catalogue s’est posé
la question : « Et si cette clé
servait à autre chose qu’à serrer
les écrous ? » .
Il n’empêche que KISCHKA et moi l’avons
interprétée comme la clé des champs
ou la clé des songes et que nous l’avons
acceptée d’entrée de jeu.
Par la suite DIKRAN nous a apporté des sculptures
moins monumentales et, si j’ose dire, plus humaines
en ce sens qu’elles représentaient un homme,
une femme, un enfant mais synthétisés
à l’aide d’une pharmacopée
bien personnelle, résumés en quelque sorte
et , pour ainsi m’exprimer, réduits à
l’essentiel.
Et l’essentiel, pour DIKRAN, c’est la ligne,
c’est-à-dire la place que prend, pour un
temps, un contour dans l’espace, pour un temps
qu’il saisit au plus vite et qu’il restitue
et reconstitue pour les années et, je l’espère,
pour les siècles à venir.
« Je hais le mouvement qui déplace
les lignes » écrivait BAUDELAIRE.
DIKRAN, lui, aime le mouvement qui lui fait apparaître
le sujet sous mille aspects différents et variés
et, sensible au fugitif plus qu’aucun autre, il
retient l’instant pour en faire une éternité.
C’est pourquoi ses sculptures sont avant tout
linéaires, lisses et polies comme des galets
incessamment roulés par les eaux du torrent.
Par la moindre aspérité, pas d’angles
aigus mais des rondeurs, des douceurs et des courbes
sur lesquelles l’œil et la main aiment à
s’attarder dans une tendresse complice, dans une
joie presque animale.
C’est pourquoi aussi les statues de DIKRAN vibrent
au rythme même de la vie et se présentent
comme autant de danseurs et de danseuses marquant les
pas d’un ballet dont ils auraient eux-mêmes
écrit la musique, sans argument ni livret.
Il s’en dégage une intense impression
poétique et l’on en arrive à croire
que les personnages qui nous sont proposés viennent
à la fois d’où ils viennent et d’ailleurs.
Car ce qui fait leur charme et leur grâce , c’est
qu’ils sont en même temps réels et
irréels, vrais dans leur vérité
et imaginaires et imaginés dans leurs formes.
Le temps n’est plus où l’on demandait
au sculpteur d’être simplement véridique.
Nos yeux habitués à trop de beautés
froides et fades exigent aujourd’hui d’autres
rêves et d’autres envolées, et il
est bon, il est nécessaire de prêcher le
vrai pour connaître le faux.
DIKRAN pour être vrai, fait des faux à
longueur de journée.
Mais, quand on fait des faux comme ceux-là,
on ne peut que se féliciter et applaudir.
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